[à l’affiche :] GO GO TALES

11 Fév

La farandole des furets.

Imaginez Abel Ferrara en Père Noël, cœur en or, vice dans la peau. Imaginez le dit Père Noël rater sa soirée calendaire d’un bon mois ou deux (pour cause de coma éthylique, par exemple). Pour se faire pardonner, il serait capable de tout, même de vous prendre sur ses genoux en plein mois de février et de raconter une petite histoire à l’enfant pervers polymorphe qui – inutile de le nier – sommeille en vous. Go Go Tales serait ce conte.

Willem Dafoe, alias Ray, règne nonchalamment sur le Paradise de Manhattan : un strip club, un titty bar, soit un bar à nénés (ces derniers étant interprétés par Asia et Argento, a prétendu une mauvaise langue qui vendrait père et mère pour un bon mot…). Mais l’âge d’or est passé, les affaires sont poussives, la propriétaire des lieux (la méchante sorcière ?) menace de vendre. Ray, en vrai flambeur, investit le solde dans des tickets de Loto. Et gagne.

Mais, comme dans un conte, on se moque de lui ; le réel résiste et joue des tours.  Impossible de remettre la main sur le ticket gagnant – un conte, vous dit-on. Un conte où Asia Argento embrasse son chien lascivement, un conte où les princesses sont déguisées en Lolita pour le bénéfice des touristes japonais, où (enfin) ces merveilleuses créatures se réveillent (un peu) – assez, du moins, pour menacer de faire grève. Un conte où la bonne marraine, la grande Anita Pallenberg, est devenue ouvreuse. Où les machines à U.V., mal entretenues, développent une volonté personnelle, n’hésitant pas à exploser.

Ce royaume est suspendu entre trivialité et merveilleux. Tous n’y ont pas accès ; certains, parfois, s’y égarent à leurs dépens (n’en disons pas davantage sur la mésaventure du joli Riccardo Scamarcio, jeune médecin arrivé au Paradise par hasard, ou plutôt pour avoir sauvé la vie d’un grand mage de la pègre). La réussite tient avant tout à la tendresse de Ferrara lui-même pour son sujet, au souvenir ému qu’il garde de ce monde clos : comme dans tout royaume enchanté, précise-t-il, « les employés (…) maintenaient fermée la frontière qui les séparait du monde extérieur ».

Mais nous ne sommes plus des enfants, bien entendu ; et l’enchantement ne peut se dire que dans la nostalgie. La tendresse est celle du souvenir, d’un passé révolu – « il y a bien longtemps, quand 9 et 11 n’étaient encore que deux nombres impairs… » déclare Ferrara. « Il y a bien longtemps » – ou « il était une fois » ? Histoire ou mythe ?

Nous ne sommes plus des enfants, certes, mais Go Go Tales réveillera le petit pervers émerveillé qui dort en vous – à moins qu’il ne s’agisse du petit pigeon ? Et Ferrara, qui pratique ici l’innocence et l’enchantement comme une discipline, du reste commune à ceux qui sont revenus de tout, d’ajouter : « j’étais un vrai pigeon, comme tous les autres mecs qui traînaient là, ou dans n’importe quel endroit de ce genre »  –  y compris, ajouterais-je, une salle obscure. Go Go Tales le dit : il y a une réelle grandeur, un honneur et une grâce à se laisser porter par l’enchantement, à y céder, à jouer le jeu. Il y a un dieu pour les pigeons.

Jakuts

Go Go Tales de Abel Ferrara /// avec Willem Dafoe, Bob Hoskins, Matthew Modine, Asia Argento /// En salles – 1h45

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