Ed. Pyramide Vidéo
« C’était lent et en plus j’ai rien compris ! », pouvait-on entendre à la fin d’un visionnage d’Oncle Boonmee. Ou encore : « J’ai pas tout compris, mais c’était beau ». Paroles intrigantes ; peut-on apprécier des images sans en comprendre le sens ? Sûrement. L’apprécier à sa juste valeur ? Discutable. Une chose est certaine, les émotions ressenties durant un film comme Oncle Boonmee grignotent notre réflexion sur notre rapport avec le cinéma en raison de certains partis pris de réalisation qui se démarquent des productions « traditionnelles ». Evidemment, le réalisateur Apichatpong Weerasethakul n’est pas le premier à effectuer cela, et, comme souvent avec ces partis pris, l’œuvre en question peut être autant soporifique qu’étonnante.
Inutiles de résumer le film, le titre (Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures) en dit déjà beaucoup, il est l’adaptation plus ou moins libre du livre A Man who can recall his past lives qui raconte l’histoire vraie de cet homme, Boonmee, qui révélait que lorsqu’il entrait en méditation, il pouvait faire revenir ses existences passées. Comme le Boonmee du film, dans ses vies antérieures, il était peut-être un homme, une femme, un animal ou un esprit. Sujet que Weerasethakul avait déjà légèrement abordé au cours d’une séquence de son film Tropical Malady réalisé en 2004.
En faisant ce film, le réalisateur thaïlandais a voulu rendre hommage à l’endroit où il a grandit, près d’une jungle qu’il considérait comme une maison à part entière. D’ailleurs, dans Oncle Boonmee, cette jungle y est montrée avec une affection apparente, on y ressent la quête d’une sensation qui est impossible au réalisateur de retrouver aujourd’hui, la jungle étant devenue un terrain hostile bien plus proche de celle montrée dans l’hypnotisante seconde partie de Tropical Malady que de celle de son dernier film. Weerasethakul aborde les vieilles légendes qui ont bercées son enfance, comme celle des esprits rôdant dans la jungle qui sont ici représentés par de grands singes aux yeux rouges. C’est entre autres avec cette représentation que le film devient étonnant : l’idée du grand singe peut faire sourire, mais sa première apparition suscite une émotion difficile à saisir, le spectateur ressentant un effet de surprise mêlé avec une forme d’inquiétude qui, cependant, n’a rien à voir avec celle ressentie face à un quelconque film fantastique ou d’horreur. Comme si à travers cette image, le réalisateur voulait non seulement nous surprendre, mais aussi nous faire comprendre qu’il n’y a rien à craindre. Et cette volonté est exprimée durant la quasi-totalité du long-métrage.
La sincérité et la simplicité du réalisateur, voulant essentiellement faire appel aux sens du spectateur, et les qualités indéniables de la photographie rend l’expérience séduisante. Le rythme très lent du film a tendance à le rendre parfois difficile à suivre, et arrivé au terme de ce voyage il serait inconcevable et bête de se dire « ouais, j’ai tout compris », voire même de chercher à tout comprendre, parce que sa substantifique moelle est tellement personnelle qu’une quelconque conclusion nous éloignerait encore plus de la vérité. Il est difficile de décortiquer ce que l’on ressent face à un film comme Oncle Boonmee qui est construit comme un « rêve étrange et beau » (dixit Tim Burton) obsédé par le thème de la mémoire.
Edité par Pyramide Vidéo, le dvd d’Oncle Boonmee offre le minimum (qui est largement suffisant ici) en proposant sept scènes coupées, deux bandes annonces, mais aussi un entretien de 16 minutes avec Apichatpong Weerasethakul qui aborde la genèse du film, mais aussi les différentes interrogations que suscite son œuvre. L’autre bonus intéressant est celui du court-métrage Lettre à Oncle Boonmee, prélude au long d’une durée de 18 minutes dans lequel le réalisateur s’adresse à oncle Boonmee pour lui parler de son désir de réaliser un film sur sa vie.
Rock Brenner
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